© Afreepress (Lomé, le 21 octobre 2015)-Alors que les pays africains, dont le Togo et leurs partenaires techniques et financiers font des efforts pour circonscrire les maladies transmissibles, un nouveau front s’ouvre devant eux avec les maladies non transmissibles. Pour sensibiliser la population sur le cancer, l’une des formes de maladies non transmissibles, il a été initié depuis sept (7), la campagne « octobre rose ».
Qu’est-ce que c’est ? Pour qui est destinée cette campagne et le cancer est-il une fatalité ? Pour répondre à ces différentes interrogations, l’Agence de presse Afreepress a eu un entretien exclusif avec le président de la Ligue togolaise contre le cancer (LTCC) et de l’Association « Espérance et vie nouvelle », Stéphane Awity.
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Afreepress.info : Bonjour monsieur Stéphane Awity, quel est l’état d’avancement du cancer au Togo ? Peut-on savoir la proportion d’hommes et de femmes qui sont touchés ?
Stéphane Awity : Bonjour Madame la journaliste. Le cancer prend des proportions très inquiétantes dans notre pays et nous sommes très loin de ce qui se fait sous d’autres cieux du point de vue des actions d’information du public sur ce cancer, de sensibilisation, de dépistage, du traitement de la maladie donc de la prise en charge des femmes souffrantes du cancer du sein.
Le gouvernement à travers le Ministère de la santé a créé le Programme national des maladies non transmissible depuis 2009, le Programme national de lutte contre le cancer depuis juin 2009, le Comité thématique de lutte contre le cancer (CLC) en 2009 et qui rassemble tous les acteurs de la lutte contre le cancer, à savoir les professionnels de la santé du public et du privé exerçant dans ce domaine du cancer, les associations et autres. Ce comité accompagne le programme national de lutte contre le cancer. Nous avons réalisé beaucoup de travaux en commission dans ce comité qui ont été restitués depuis 2010 et repris dans le document de plan stratégique du programme des maladies non transmissibles de 2010-2015.
L’enquête STEP sur les maladies non transmissibles a été réalisée en 2011 et l’année dernière (2014), pour la première fois au Togo, a été organisé un colloque sur le cancer dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre le cancer ou d’éminents spécialistes du domaine du cancer et les associations comme Espérance et Vie Nouvelle ont pu participer activement durant toute une journée pour débattre sur cette maladie qu’est le cancer.
Notre association a impliqué les femmes malades du cancer venues de tout le Togo qui ont témoigné de leurs vécus quotidiens, de leurs souffrances et de leurs difficultés.
Ce sont des efforts que le gouvernement, à travers le ministère de la santé, fait pour faire avancer la lutte mais néanmoins le chemin reste encore long pour permettre à nos populations d’être rassurées dans la prise en charge. Beaucoup de défis restent à être relevés pour corriger beaucoup de manquements dans cette prise en charge. Par exemple, les produits utilisés dans le traitement du cancer au Togo manquent cruellement dans les stocks d’approvisionnement, les sociétés grossistes en pharmacie qui les commercialisent ont des difficultés en matière d’écoulement de ces produits et hésitent à investir pleinement dans la commercialisation de ces produits essentiels qui entrent en jeu dans le traitement par la chimiothérapie des patients. Ils coûtent chers et ne sont pas à la bourse du Togolais moyen.
La radiothérapie n’est pas disponible au Togo et les malades qui doivent compléter leurs traitements par cet appareil doivent sortir de notre territoire pour aller au Ghana, au Maroc ou ailleurs pour se faire traiter. Nous sommes toujours impuissants devant le récit poignant de ces femmes qui reviennent après leur séjour de traitement au Ghana. Le plateau technique de nos structures sanitaires habilitées à prendre en charge ces pathologies est toujours limité. L’absence de psychologue dans la prise en charge du cancer au Togo a un effet négatif sur l’amélioration des résultats donc de la santé des malades. Ces derniers sont souvent victimes des propos humiliants de la part de certains praticiens de la santé dans ce domaine et restent traumatisés et terrassés sans en parler par crainte de représailles dans la prise en charge.
Malheureusement, le Togo ne dispose pas de registre du cancer. C’est en cours d’élaboration et donc nous ne sommes pas en mesure de vous donner des chiffres réels mais néanmoins, selon la base de données GLOBOCAN 2013, 3.700 personnes ont été diagnostiquées en 2012 pour le cancer au Togo et 2.800 en sont décédés. Pour le cancer du sein, le GLOBOCAN de 2008 parle de 663 femmes touchées par le cancer du sein et 381 décès pour la même période. Les chiffres hospitaliers de sylvanus Olympio parlent d’une prévalence de plus de 27% de femmes touchées par le cancer du sein.
Afreepress.info : Quel est le rôle de la campagne octobre rose dans la lutte contre cette maladie ? A qui est-elle destinée ?
Stéphane Awity : La campagne d’octobre rose permet de parler du cancer du sein, d’informer le grand public sur cette thématique, d’inciter les femmes à faire ce dépistage par mammographie, de parler du traitement conventionnel pour alerter l’opinion publique sur les centres de traitement pour éviter les drames aux patientes qui sont souvent victimes des faux guérisseurs. L’évènement d’octobre rose permet aussi de mobiliser les ressources financières pour témoigner la solidarité à celles qui souffrent déjà de cette maladie et qui n’ont pas de moyens pour suivre le traitement. Ces femmes ont plus besoin de notre amour, de notre sourire et de notre compassion.
Afreepress.info : Quel est le rêve d’ « Espérance et vie nouvelle » à travers cette initiative ?
Stéphane Awity : Le rêve de l’Association « Espérance et vie Nouvelle », de la Ligue togolaise contre le cancer, des centres, des cliniques partenaires et d’autres est de trouver du financement pour apporter l’information vraie sur le cancer de sein à la majorité des Togolais et des Togolaises de Lomé ainsi que de l’intérieur du pays et d’étendre le dépistage à l’ensemble du territoire national. Le rêve aussi est de lutter efficacement pour que les femmes puissent avoir le réflexe de faire le dépistage précoce à chaque fois pour que les femmes puissent conserver leurs seins après le traitement du cancer de sein. Que les femmes ne meurent plus tragiquement du cancer afin que les femmes sachent que le cancer se guérit bel et bien si c’est dépisté tôt et qu’on a suivi un bon traitement.
Afreepress.info : Quels sont les centres de dépistages disponibles ?
Stéphane Awuty : Il y a les cliniques partenaires à savoir la clinique hôtel d’Elie, la clinique de l’aéroport, la clinique Alpia sise à Hanoukopé, la clinique Ken Rock sise à Forever, la clinique la bonté en face de la gare routière d’Agbalépédo, la policlinelle Hossiwoégbogbo à Adidogomé et le Centre hospitalier préfectoral d’Aného.
Afreepress.info : Quelle est la durée de la campagne ?
Stéphane Awuty : La campagne s’étend sur un mois et va du lendemain du lancement officiel c’est-à-dire le 13 octobre au 12 novembre prochain.
Afreepress.info : Quelle affluence est-ce qu’on note dans les centres de dépistage depuis le lancement officiel de la campagne ?
Stéphane Awuty : Depuis sept ans successifs que nous organisons ces campagnes de dépistage, nous avons constaté que le nombre de femmes dépistées ne cessent d’augmenter. Pour cette année encore, il y a beaucoup de mobilisation des femmes puisqu’elles nous appellent à longueur de journée pour être situées ou référées vers les centres de dépistage. Bref, il y a beaucoup d’engouement encore cette année mais nous attendons la fin de la campagne pour faire le point. Mais nous avons fait un constat, c’est que les femmes attendent la dernière semaine pour aller se faire dépister alors que la machine ne peut pas faire au-delà de ce qu’elle a l’habitude de faire c'est-à-dire un nombre donné par jour. Le prix de la mammographie pendant toute la période de la campagne est de 12.000 FCFA et concerne aussi bien la mammographie et l’échographie mammaire, au cas où il y a une anomalie dans la mammographie.
Afreepress.info : Un suivi post-campagne est-il prévu ?
Stéphane Awity : Bien sûr, il y a un suivi post-campagne qui est prévu et c’est pour cela que nous mettons à la disposition de ces centres de dépistage les listings pour les collectes de données où il y a les contacts de toutes personnes dépistées. Alors pour chaque femme dépistée positive, les cliniques partenaires sont prêtes à nous accompagner pour la réduction des frais d’opération mais nous luttons pour que l’autre traitement par la chimiothérapie puisse être subventionné par les autorités togolaises et c’est pour cette raison que l’année passée, à la fin d’octobre rose, nous avons organisé une grande marche de solidarité pour demander la subvention du traitement de cancer chez les femmes et c’était le 30 octobre 2014. Nous ne baissons pas les bras, nous avons envoyé ce projet de subvention du traitement à des sociétés, des fondations et autres de notre pays et de l’Europe et nous espérons qu’un jour nous aurons gain de cause pour sauver des vies.
Afreepress.info : Avez-vous un message particulier à livrer à la population ?
Stéphane Awity : Le cancer n’est pas synonyme de la mort. Beaucoup de gens stigmatisent les personnes qui souffrent de cette maladie et cela n’améliore pas le traitement ni le rétablissement de ces personnes qui sont victimes de ce mal. Il faut aussi que la population surtout les femmes puissent s’informer sur les différents facteurs de risque du cancer du sein. Il faut que les femmes apprennent et pratiquent l’auto examen des seins. Il faut que les femmes à partir 40 ans, participent le dépistage par mammographie et d’autres femmes de moins de 40 ans qui ont des anomalies dans le sein aussi. Il faut que les femmes consultent chaque année un gynécologue. Que la population adopte des comportements responsables et de mode de vie sain à savoir : éviter le tabagisme, l’alcoolisme, l’inactivité physique, l’obésité, la malnutrition. Je vous remercie.
Propos recueillis par Denise A.